mon CARNET de RENCONTRE Marie-Odile DUPONT


mon carnet de rencontreL’année dernière, j’exposais 16 SILENCES HABITES au Collège des Bernardins.

Certes les lieux entendus étaient magnifiques, mais plus intéressant encore était le chemin parcouru.

Ces 16 lieux avaient donné naissance à 16 rencontres fortes et fondatrices.

Durant cette Semaine du Son je mettrai en ligne, chaque jour, un entretien sur la place qu’occupe le «sonore» dans la vie quotidienne de quelques personnes qui ont marqué ma route.

Vous pourrez retrouver cette espèce de blog éphémère, sur les sites de l’AFSI et de la Semaine du Son.

Mardi 12 janvier 2016
entretien avec Marie-Odile DUPONT

Pourquoi nos premières expériences professionnelles nous marquent-elles à ce point ?

Certainement parce que, comme pour la musique, ce sont les premières et quelles arrivent sur un terrain vierge.

Toute ma vie je me souviendrai de nos premier pas avec Marie Odile. De l’enregistrement de notre premier opéra à Lyon. Un opéra de Mozart… De notre participation au concert de baisers de Nicolas Frize…De nos premières émissions de radio avec Claude Levy…De tous ces réalisateurs, directeurs-photos, cameramans du CNDP qui nous ont appris à regarder le monde autrement.

Marie-Odile DUPONT 2

Où situes-tu la frontière entre ta pratique quotidienne de l’écoute du monde et ta pratique professionnelle ? Si elle existe.

Je cale…

A quoi fais-tu attention dans les sons qui t’entourent ?

Je ne suis pas sûre de « faire attention ». Mais je suis très sensible aux silences habités. Je vis depuis trois ans en pleine campagne et mes oreilles en sont ravies, ayant toujours vécu à Paris.

Qu’écoutes-tu tous les jours avec le plus de plaisir ?

En vrac : les oiseaux de mon jardin et de la forêt toute proche, (j’ai la chance d’avoir une colonie de pigeons et de tourterelles  qui nichent dans le parc de mes voisins), la vibration des Furin* japonais que j’ai suspendus sur ma terrasse, et qui sonnent de façon très ténues sur des tonalités différentes au moindre souffle de vent, le cri de la chouette la nuit, le crépitement du feu dans ma cheminée le soir quand j’écoute de la musique… mon compagnon musicien quand il travaille la guitare pendant des heures…

Quels sont pour toi les sons les plus beaux ?

La beauté est très relative et tout dépend du moment.

J’aime entendre le rire des enfants, j’ai vécu pendant quelques années dans un appartement surplombant la cour de récréation d’une école, et j’aimais beaucoup cette rumeur qui monte, et qui représente l’insouciance et la joie de vivre.

J’aime particulièrement écouter le bruit de la mer. Je vais souvent me reposer sur une toute petite île bretonne, très étroite à certains endroits, où la mer est vraiment en multicanal puisqu’elle est à la fois devant et derrière soi…

J’aime le bruit d’une petite rivière qui coule dans mon village,

J’aime le son du piano, mon instrument, j’aime le son des cloches, j’aime le son des places piétonnes le soir quand la foule disparaît et que seules quelques voix et bruits de pas s’entendent ça et là.

Pourrais-tu partager avec nous une émotion sonore récente ?

Ma fille et son amie retravaillant la Pavane de Fauré pendant les vacances de Noël, l’une au piano et l’autre à la clarinette. J’ai fréquenté le conservatoire très jeune et mes deux sœurs et moi travaillions tous les jours, qui au piano qui au violon. J’ai toujours adoré cette ambiance de conservatoire avec des sons d’instruments arrivant de tous les côtés, pas forcément beaux ni forcément justes, mais qui représentaient pour moi le grand bonheur de jouer et de partager des émotions avec d’autres.

Pourrais-tu partager avec nous une émotion visuelle récente ?

Elle est liée à un mixage que j’ai fait récemment. Il s’agit d’un documentaire sur Cyrano qui sera diffusé au printemps sur France 5 : un  montage d’ITV d’acteurs célèbres qui ont joué Cyrano et parlent de cette expérience majeure de leur vie professionnelle. Les ITV sont parsemées d’archives où on les voit jouer. C’est un magnifique documentaire sur le métier d’acteur et la réalisatrice a parfaitement su capter toute la fragilité de ces grands bonshommes qu’on peut trouver parfois mégalos. Elle a réalisé ces ITV au théâtre de la Porte St-Martin, qui est l’endroit où Cyrano a été créé en 1897. La séquence de fin est magistrale. Chacun des acteurs est filmé sur la scène nue du théâtre vide, en train de regarder sur un grand écran des images de lui-même en train de jouer il y a  10, 20, 30 ans  voir plus.  Cette séquence muette est montée sur « La Barchetta » de Reynaldo Hahn, qui accompagne magnifiquement cette séquence de grande émotion.  Et bien je suis un mixeur qui pleure…même au dixième visionnage…

Et si on devait creuser un peu, de quel coté irions-nous ?

Je propose un premier souvenir sonore, quand j’étais vraiment jeune enfant.

Ma grand’mère vivait dans un village des Ardennes  dans la vallée de la Meuse, et nous allions souvent nous promener dans la forêt au-dessus du village. Pour ceux qui ne connaissent pas la Vallée de la Meuse, les Ardennes sont un massif  montagneux ancien,  et la Meuse coule en méandres dans une vallée très encaissée. Ce qui donne des villages en pente, et la forêt juste au-dessus. C’est magnifique, mais personne ne connaît, malheureusement.

Il existe un point de vue assez haut qui surplombe une boucle de la Meuse, à l’intérieur de laquelle s’est niché un autre village. J’aimais beaucoup voir ces maisons qui paraissaient toutes petites, mais surtout j’ai très jeune été sensible aux sons tout particuliers que je retrouvais toujours à cet endroit.

Au premier plan, les oiseaux, ( le point de vue est en forêt) , en bas, une vue impressionnante sur les méandres du fleuves, avec des petites maisons et des gens lilliputiens, mais comme on sait, l’eau conduit le son, et l’humidité aussi. Cela donnait une rumeur qui montait doucement, avec quelques bruites de moteurs, (quand j’étais petite, il n’y avait pas énormément de voitures !) des aboiements de chiens ici et là, et des voix dispersées mais qui s’entendaient pourtant distinctement malgré la distance. Une rumeur tranquille de pays en paix.

C’est tout bête, mais je suis souvent restée là-bas des heures à écouter, et c’est toujours un moment d’émotion quand j’y retourne, 50 ans après.

La musique vient de s’arrêter, le feu crépite à ma gauche et l’horloge bat discrètement juste derrière moi. J’ai oublié de te dire que j’adorais le son du temps qui passe et toutes les horloges, qu’elles carillonnent ou pas…

*Le fūrin (風鈴?), ou carillon japonais. Ce mot est composé en japonais des idéogrammes du vent et de cloche. C’est un objet traditionnel de décoration japonais. Il est constitué le plus souvent d’une petite cloche accrochée au chambranle d’une fenêtre, et tinte à la force du vent.

Les formes traditionnelles sont généralement en céramique. On y accroche volontiers au battant un petit morceau de papier sur lequel est écrit un haïku.

Marie-Odile DUPONTMarie-Odile DUPONT 2CNDP

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