Résumé
Contrairement à l’idée communément admise ; que nous façonnons nos outils selon nos besoin, je voudrais vous raconter comment, c’est très précisément leur rencontre, en me permettant ruptures et retournements, qui m’a fait entrer PAS À PAS dans une autre dimension, en m’ouvrant le champ des possibles.
- n° 4 – automne 2014>
Du preneur de son au marcheur sensible
Jean-Marc L’Hotel
octobre 2014
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Index
Index de mots-clés : marche en ville, ambiances, ambisonique, Cube,son en relief.
Plan
- Histoire d’une rencontre
- 1. Immersion dans une diffusion cohérente
- 2. Un rapport nouveau au son
- 3. Le CUBE
- Les ruptures
- 1. 1. Être au monde, être avec
- 1. 2. Être au centre mais ne pas être le centre
- 2. « Il n’y a pas de pas perdus » André Breton,Nadja
- 3. La poétique du quotidien
Notes de l’auteur
Texte intégral
Introduction
J’ai maintes fois expérimenté la constatation que nos réflexions théoriques étaient très souvent contraintes par nos axiomes de départ. Et qu’il en était un, en particulier, dont il semblait difficile de s’affranchir : l’état de maîtrise des conditions de production. Quand on m’a dit : « il faut faire comme ceci », j’ai souvent entendu : « je ne sais faire que comme cela ». Si le verrou technique saute, il y a fort à parier que la construction intellectuelle sautera avec.
Contrairement à l’idée communément admise, que nous façonnons nos outils selon nos besoins, je voudrais vous raconter comment, c’est très précisément leur rencontre, en me permettant ruptures et retournements, qui m’a fait entrer PAS À PAS dans une autre dimension, en m’ouvrant le champ des possibles.
Longtemps, j’ai été à la quête du détail, maintenant, je préfère observer comment les choses s’articulent. J’essaye de pratiquer l’espace. Pendant des années dans mon métier de preneur de son, j’ai tenté de focaliser, de me battre contre. Ce que Jean Minondo appelait, un combat de tous les instants pour être au plus près des acteurs et des évènements.1 Maintenant je ne choisis plus, je décide de prendre large, d’accepter.
Ce sont les outils qui m’ont permis cette nouvelle compréhension, à la fois de ma pratique et du monde qui m’entoure, et non l’inverse comme nous l’imaginons trop simplement.
Progressivement, s’est opérée en moi, une espèce d’adaptation de la forme au fond.
1. Histoire d’une rencontre
1. 1. Immersion dans une diffusion cohérente
Une question a toujours accompagné ma pratique : pourquoi est-ce que je recherche cette position cohérente et centrée comme l’a qualifiée Jean-Marc Duchenne lors de nos discussions ?
En première intention, j’aurais tendance à répondre par : pour « transporter » l’auditeur. Mais, pourquoi la cohérence a-t-elle toujours été si importante pour moi ? Peut-être parce que j’ai toujours été persuadé que, contrairement à ce que l’on m’a demandé de pratiquer quotidiennement, le point d’écoute du son ne pouvait être partout à la fois. Il n’y a, me semble-t-il, sur la question du point de vue, aucune différence avec la photographie. Peut-être aussi, parce que je ressens confusément que, pour imaginer où nous sommes, il nous faut obligatoirement des informations d’espace.
J’ai pu explorer cette intuition en tentant de suivre les pas de l’anthropologue Jacques Cheyronnaud (2009), lorsqu’il a essayé d’exposer la trahison à ses oreilles de ces miniaturisations sonores que nous tentons avec nos enregistrements. Dans la lignée de John Dewey pour qui, « tout mouvement de nature est le produit de vibrations »2, il caractérise la localisation comme l’articulation de deux axes : l’axe d’une spatialisation (je suis dans le périmètre d’une source résonnante en action), et celui d’une caractérisation (les informations que je saisis me renvoient à ma mémoire auditive et à des catégories que je connais).
La spatialisation est donc de l’ordre des relations de proximité. C’est à partir de cet axe de spatialisation que va se fabriquer une mise en périmètre qu’il appelle « assignation périmétrique ». L’assignation périmétrique est fondamentalement une opération de corrélation : elle consiste à ajuster une portion d’étendue, plane, une surface (nous sommes dans l’ordre de l’écart, de la distance entre deux points, le siège et la source) à une abstraction indéterminée qu’on appelle espace. C’est cette corrélation qui produit du volume, non pas dans l’ordre de la taille (par exemple de l’intensité) mais dans celui de la géométrie, qui définit un intérieur et un extérieur, donc des limites. Ainsi parlera-t-on, par exemple, de la rue, d’un quartier, d’un endroit comme termes et échelles d’assignation périmétrique : la corrélation surface/espace produit un artefact géométrique. Nous sommes bien dans l’ordre d’une tri-dimensionnalité avec ses paramètres : horizontalité (la longueur), verticalité (hauteur), prospectivité (profondeur)
Nous voilà donc prêts à replacer la question du point de vue au centre de la problématique.« Ce n’est pas le sujet qui fait la photo, mais le point de vue du photographe » disait André Kertesz3.
C’est pourquoi, lorsque j’ai croisé le chemin de l’ambisonique, j’ai aimé ce retournement, ce renversement de la problématique. Ce n’était plus les contraintes finales du système de diffusion qui guidaient mon approche, mais la volonté de replacer l’auditeur au centre du dispositif.
Le recentrage du point d’écoute m’a permis d’ouvrir une dimension, in-ouie jusque-là. : le son comme lien physique au monde.
1. 2. Un rapport nouveau au son
Bien que je n’arrive pas encore à le formuler très clairement, je trouve qu’il y a quelque chose d’étrange et cependant de merveilleux dans le rapport que nous entretenons avec le son reproduit. Pourquoi souhaitons-nous et prenons-nous plaisir à rester à l’extérieur, en pratiquant une écoute frontale ? Pourquoi entretenons-nous un rapport très distancié avec l’objet sonore ? Y a-t-il un lien entre ce que nous voyons et ce que nous entendons ?
Je pense qu’une partie de l’explication est là : nous écoutons avec nos yeux.
J’en vois d’ailleurs pour preuve la concordance entre les normes de diffusion ITU et l’angle du champ de vision. Bien évidemment nous nous sommes toujours aidés des « réflexions » de la pièce d’écoute pour nous sentir enveloppés, pour reconstituer la composante qui nous manquait, mais c’était pour mieux la contraindre.
Comment ce petit miracle d’illusion fonctionne-t-il ? Mon sentiment serait que, c’est parce que je suis un objet sonore et résonnant que cette simplification fonctionne lorsqu’elle parvient à me mettre en vibration.
Mais je ne pense pas que l’on puisse affirmer que puisque cela fonctionne souvent, c’est que le principe est juste et logique. La définition du dictionnaire indique explicitement cette approximation.
« Le son stéréophonique, plus communément appelé stéréo, est une méthode de reproduction sonore visant à recréer l’illusion d’un espace sonore »4
Alors, de quoi avons-nous peur ?
Redouterions-nous les étourdissements de l’enfance ?
Est-ce notre statut d’adulte qui refuserait que nous nous laissions happer par une part de l’enfance ?
Ce n’est pas parce que je n’ai pas toutes les réponses que je ne peux pas poser les questions.
Ce n’est pas parce que je ne sais pas où je vais que je ne peux pas prendre ce chemin et voir où il me mène.
Comment nous repérer si nous ne sommes pas dans un espace en 3 dimensions ?
1. 3. Le CUBE
Le retournement de la problématique par l’ambisonique a permis deux apports majeurs :
- la diffusion sur 3 axes,
- la prise en compte de la composante verticale du son.
Depuis mes débuts dans le métier, j’ai toujours accepté la technologie de la fidélité comme l’appelle Bastien Gallet (2006). La pratique d’écoute que la technologie nous a apprise repose, selon lui, sur une double opposition : séparer le signal du bruit – l’intériorité du son de l’extériorité émettrice, le premier plan du bruit de fond, le son de ce qui lui permet d’être reproduit. Cette notion du rapport signal/bruit est certainement l’une des plus préjudiciables à la compréhension théorique du monde sonore. Or le retournement de la problématique va nous permettre de libérer la puissance de l’imaginaire.
Une des plus belles simplifications qu’il m’a certainement été donnée d’entendre, est l’affirmation que nous n’avons pas besoin d’informations sonores verticales puisque nos oreilles sont placées sur un même plan horizontal. Et c’est d’autant plus navrant que cette affirmation s’appuierait sur une phrase de Pascal Amphoux5.
À y réfléchir, il n’y a absolument rien de logique dans cette affirmation. Si ce n’est que les deux opérations (l’écoute initiale et la restitution sur une paire d’enceintes) excitent les mêmes sens. Il y a là autant de différence qu’entre prendre sa douche avec un gel « senteur des îles » et un véritable plongeon sous une cascade tropicale. Et si l’argument du plan horizontal était valable, il en serait également fini de la tridimensionnalité pour les yeux, et les jambes et le nez.
J’ai personnellement plutôt le sentiment que, n’ayant plus de prédateurs au-dessus de nos têtes, nous avons perdu cette acuité. Nous aurions en quelque sorte, désappris. Et, si notre survie dépendait de l’affûtage de ce sens, il nous reviendrait très vite.
Ce que j’essaye d’affirmer avec force, c’est que la terre sonore n’est pas plate.
Et la composante verticale du son a son importance.
Ce dont nous parlions dans la première partie, c’est-à-dire la notion d’espace, ne peut pas être occultée de nos systèmes de restitution, aussi sensible, intelligent, voire rusé soit notre cerveau.
La psychoacoustique nous servant régulièrement de « cache-sexe » pour parler d’effets dont nous ne comprenons pas réellement les mécanismes.
Je parle donc d’une composante verticale où les informations de haut et de bas permettent la discrimination et la perception de l’espace, tout comme nous l’opérons tous les jours, à faire de la prose tridimensionnelle sans le savoir. Je ne parle pas d’envoyer des « pouets » dans des enceintes hautes ou basses, nous maîtrisons la diffusion multi haut-parleurs depuis fort longtemps.
Je parle d’un système où toutes les informations de latéralité-profondeur-verticalité seraient transmises. Le « premier » d’entre eux c’est le CUBE.
C’est, aujourd’hui de l’ordre d’une expérience sensible à accepter. Comme pour tout ce qui a trait au plaisir, en parler sans l’avoir expérimenté nous conduit à des propos sans fondements. Il n’y a donc qu’à en faire l’expérience. Et là je peux, à la suite de MARCHE et RÊVE, assurer qu’au pire, on ne sent pas la différence.
La prise en compte de la verticalité du son entraîne forcément un changement de perspectives.
Et comme nous nous le disons en montagne, à mesure que nous prenons de la hauteur, notre horizon s’élargit.
C’est donc bien la mise en place d’une chaîne complète d’outils techniques qui a fait évoluer progressivement ma pratique. Je vais tenter de montrer, en retournant sur le terrain de l’investigation, comment un premier « pas de côté » puis un autre, ont modifié ma façon d’écouter la ville. Et comment, j’ai appris progressivement à adopter cette attitude flottante et curieuse dont parle Pierre Sansot (1998).
Si l’intention d’une immersion dans une diffusion cohérente était de faire surgir de l’émotion, il fallait donc, en retour, se donner les moyens pour se laisser happer par ce que nous souhaitions capter.
C’est cette adaptation progressive de la forme au fond qui a entraîné un certain nombre de ruptures.
La première a été pour moi, d’apprendre à être au monde, plutôt que face au monde.
La deuxième, que la succession de nos positions fixes nous menait à une impasse. Il fallait donc me mettre en mouvement, que j’apprenne à marcher.
La troisième, que cette expérience sensible me donnait accès au territoire de la poétique du quotidien.
2. Les ruptures
2. 1. 1. Être au monde, être avec
L’hypothèse que j’ai volontiers suivie, est celle de Guattari, indiquant que le sensible constitue la toile de fond de l’expérience habitante6. Ainsi, Maurice Merleau-Ponty dans la lignée de Martin Heidegger nous dit : « exister c’est être au monde »7.
Le preneur de son que j’étais, puis le promeneur que je suis devenu ont bien compris que pour saisir la dimension contextuelle des flux audibles – schématiquement comprendre ce qui se passe autour de moi – il valait mieux prendre au sérieux le précepte d’André Kertész.
« Savoir réfléchir c’est bien, mais c’est mieux de regarder et c’est encore mieux de regarder sans réfléchir ! ! ! » André Kertész.8
Ce qu’en d’autres termes, Lao-Tseu nous disait à l’autre bout du monde, « s’assimiler à son milieu, cela s’appelle la mystérieuse union »9. Tout simplement être là. Être au monde. On oublie très souvent la richesse, du laisser être, du laisser advenir, de l’abandon.
Lors de mes voyages/déambulations urbaines, la position du « touriste » contemplant émerveillé les paysages sonores n’était plus tenable.Même en tentant d’appliquer à ce qui est proche, non exotique, « ici » plutôt que « là-bas », le type d’attention que nous conférons d’habitude aux contrées et pratiques lointaines, je sentais que je faisais un peu fausse route. En acceptant cette intégration dans le paysage, et en acceptant de me mettre en mouvement, j’avais l’impression de commencer à prendre le problème par le bon bout. Le milieu comme aurait dit Gilles Deleuze.10
2. 1. 2. Être au centre mais ne pas être le centre
J’avais compris qu’« Être au centre des choses, ce n’est pas être le centre des choses ». Que pour écouter l’énergie qui nous entoure, la capter, la restituer, il me fallait progressivement appartenir à ce que j’enregistrais. Ce n’est pas moi qui enveloppe ; c’est moi qui suis enveloppé. Je pouvais enfin tenter d’inscrire une sphère (mon humanité) dans un cube (le monde).
Je m’appuyais pour cela sur les travaux du Cresson (Thibaud, 2002). Une ambiance « nous enveloppe » et « nous intègre ». Le lieu habite le corps en même temps qu’il se laisse habiter par lui en redonnant sa juste place aux phénomènes rythmiques qui engagent notre rapport au monde ambiant. Une ambiance privilégie l’immersion sur le rapport de face-à-face, place le sujet percevant au sein du monde qu’il perçoit et nous met d’emblée en contact avec la globalité d’une situation sans que l’on puisse pointer du doigt précisément les éléments qui lui confèrent sa qualité distinctive. Affirmer que « l’être dans le monde se manifeste par des gestes » m’a conduit à reconsidérer le rôle central de la motricité dans nos façons d’agir. Il a fallu que je m’ajuste progressivement et que je prenne au sérieux ces gestes du quotidien comme étant une composante à part entière du paysage.Mais, pour être « accueilli », il faut que je me montre « accueillant ». Que mes gestes permettent l’échange. Pour ne pas être un obstacle à la propagation de ce que je souhaite capter, il me fallait retenir les leçons apprises de la prise de son, et adapter mon attitude et celle de mon matériel.
J’arrivais (comme le dit Jean-Paul Thibaud, 2002, 2004) à comprendre la mise en résonance des ambiances et des conduites et à en déceler l’accord rythmique qui se noue dans la mise en phase temporelle des corps.
Et du coup, me trouvant « accordé », il m’était possible de me prendre d’affection, convoquant simultanément le sentiment du moi et du monde.
2. 2. « Il n’y a pas de pas perdus » André Breton, Nadja
Ainsi, je venais d’expérimenter l’importance de la « parole gestuelle » dont parle Maurice Merleau-Ponty11. Mais, en pointant du doigt la capacité du corps à articuler l’expérience immédiate, à entrer en résonance avec le monde environnant et à se configurer en conséquence, John Dewey12 nous ouvrait déjà la voie à une esthétique du mouvement. Je m’appuyais sur Erwin Strauss13 qui a mis à jour l’unité profonde qui existe entre sentir et se mouvoir, en développant l’idée qu’il s’agit là de deux versants indissociables du monde ambiant. « Il y a et nous y sommes, nous sommes là, présents ». Je sentais bien que, pour entrer en résonance, le terme de sensuel me semblait le plus adapté. Alors, comme disait Jean-Paul Thibaud dans un ouvrage de Rachel Thomas : « marcher ne consiste pas tant à se déplacer dans la ville qu’à s’immerger en elle, avec le sol sous les pieds, avec autrui à proximité, avec la rue comme stimulant ». (Thibaud, 2010).
La marche à la première personne consiste à se mettre à la disposition du site, en se laissant porter et transporter par l’ambiance immédiate, en se rendant disponible aux multiples sollicitations de la ville.
Marcher, suppose un corps à corps constant avec la matérialité de la ville, avec autrui.
Marcher équivaut à révéler l’épaisseur de l’expérience de la ville.
C’est parce que je marche que je suis capable de percevoir les qualités sensibles d’un lieu, d’en percevoir réellement l’acoustique. Je venais de comprendre qu’on n’appréhende réellement un lieu que lorsqu’on en saisit les limites. Il faut donc les traverser, comprendre ce qui est dehors, ce qui est dedans, en expérimenter les passages. Mes plus grands plaisirs furent dès lors, de flotter dans ce bain sonore, de saisir ces bribes de conversations qui étaient autant de vies qui surgissent. Bref d’avoir le sentiment de participer à l’invention de la ville, qui se compose et se recompose sous les pas de ses habitants (Sansot, 2004).
La marche rapproche, la marche rend proche.
Car, comme le dit Jean-François Augoyard, l’instance de l’Autre imprègne l’atmosphère de chaque instant (Augoyard, 2008).
2. 3. La poétique du quotidien
L’art, l’ordinaire de la culture ne l’intéresse guère. Du coup, le fossé entre culture et sensible est sans doute aussi béant qu’il le fut dans l’histoire de la pensée occidentale entre l’intelligible et le sensible. « Il existe une continuité entre l’expérience ordinaire et l’expérience esthétique » dit John Dewey.14Et, c’est parce que « l’anonyme est devenu un sujet d’art que son enregistrement peut être un art » poursuit Jacques Rancière (interview 1999).
Aussi, nous souhaitons nous inscrire dans la lignée de ceux qui utilisent :
- la ville comme matière
- la marche et l’errance comme supports de création
- le monde comme partage
« La flânerie permet de rentrer en contact avec les éléments essentiels de l’urbanité urbaine. Elle permet d’entrer dans la ville, mais plus encore, d’entrer en nous-mêmes. Se promener dans la ville c’est aussi se promener en son âme » Laurent Turcot (2010).
« Ce qui est beau poétiquement, c’est qu’une même marche ait un sens visible et invisible, c’est qu’en changeant de lieu on se change » Pierre Sansot (2004).
L’approche poétique introduit la place du corps dans l’expérience et l’invention du paysage. « Elle ouvre une expérience à laquelle nous participons, mais qui nous entraîne en même temps que nous la dirigeons ». Pierre Sansot (2004)
« Elle naît du fait que chacun de nos mouvements, de nos désirs, de nos emportements, épaissit le monde en le rendant plus réel » Pierre Sansot (2004).
« Le corps est notre ancrage dans un monde » Maurice Merleau-Ponty15.
« L’imaginaire n’est pas le fait de la subjectivité, c’est le fait du réel, et ce sont les images de la ville, on oserait dire ses fantasmes, qui s’animent dans les rêves des hommes » Pierre Sansot (2004).
Je faisais mienne l’idée qu’il n’y a pas plus réel que l’imaginaire. Que cette création collective, fruit d’une espèce de subjectivité fraternelle était parfaitement observable et identifiable. Quelle ne relevait pas de l’interprétation mais de l’observation.
« La marche en ville est donc instrument d’une grande puissance pour nous aider dans notre remontée à l’imaginaire. D’autant plus poétique qu’elle nous associe au laisser-être, au laisser-voir, au laisser-faire le plus fondamental » Pierre Sansot (2004).
« Une action créatrice, ne s’élucide pas totalement ».
« Dans une ville, on ne sait jamais qui reflète et qui est reflété, quel est le son et quel est l’écho, qui a la fièvre le soir, si ce sont les lumières de la ville ou les passants affairés »…
« Se mettre à l’écoute de la ville, de cette rumeur à peine articulée que les rues ou les faubourgs font entendre… »
« Étrange orgueil que cette prétention à vouloir entendre humblement ce que disent les hommes » Pierre Sansot (2004).
Voici donc la matière qui s’offre au « rêveur des villes ».
Pour Eric Hazan, par exemple, dans l’invention de Paris, à Belleville « On débarque à ce carrefour comme dans un port… Aujourd’hui tout a changé sauf l’esprit du lieu, si bien qu’au fond tout est pareil… Le grand port de Belleville est toujours en activité » (Hazan, 2004).
« En comprenant l’activité quotidienne à partir de son fond imaginaire, le monde commence autrement » disait Jean-François Augoyard (2010), il y a déjà fort longtemps.
Conclusion
J’avais donc radicalement transformé, peu à peu, pas à pas, ma méthode de travail et j’étais persuadé que révéler réellement la réalité complexe d’une ambiance urbaine ne pouvait se faire, qu’en marchant, sans casque, avec des outils à même de rendre compte de l’espace.
Il n’était donc plus nécessaire d’augmenter la réalité, il suffisait d’apprendre à l’écouter.
Bibliographie
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Notes
1 Jean Minondo lors de la remise du Césars du meilleur son en 2009 pour Mesrine, passage coupé au replay vidéo.
2 John Dewey (1934) cité par Jacques Cheyronnaud (2009).
3 André Kertesz dans Danielle Mastella et Gérard Aurifeille (1985, p. 14).
4 Wikipedia source :http://fr.wikipedia.org/wiki/Son_st%C3%A9r%C3%A9ophonique
5 Pascal Amphoux, dans Pierre-Laurent Cassière (2006), non confirmé par l’auteur lors de l’université d’hiver du Cresson, fév. 2013.
6 Félix Guattari (1989) cité par Jean-Paul Thibaud (2010).
7 Maurice Merleau-Ponty (2003) cité par Thomas Ouard (2008).
8 André Kertész, cité par Jean-Pierre Esquenazi et Frédéric Lambert (2000).
9 Lao Tseu, cité par André Chenet (2012).
10 Gilles Deleuze, cité par Jean-François Augoyard (2002).
11 Maurice Merleau-Ponty, cité dans Philippe Touchet (2014),http://www.philopsis.fr/IMG/pdf/langage-touchet.pdf
12 John Dewey, cité par Jean-Paul Thibaud (2004).
13 Erwin Strauss, cité par Jean-Paul Thibaud (2004).
14 John Dewey, cité par Jean-Paul Thibaud (2004).
15 Maurice Merleau-Ponty, dans Claudiu Baciu (2008) et Rachel Thomas, « Conclusion », dans Rachel Thomas (2010).
Citation
Jean-Marc L’Hotel, «Du preneur de son au marcheur sensible», Revue Francophone d’Informatique Musicale [En ligne], Numéros, n° 4 – automne 2014, mis à jour le : 27/10/2014, URL : http://revues.mshparisnord.org/rfim/index.php?id=325.
Auteur
Quelques mots à propos de : Jean-Marc L’Hotel
Chef opérateur du son Broadcast