L’ ambisonique pour les Nuls

Marche et Rêve m’avait aidé à formuler l’idée: pour comprendre le monde sonore qui m’entoure il me fallait glisser à l’intérieur, réussir à en faire partie. La position du spectateur émerveillé, n’était plus tenable, il me fallait me mettre en marche.

L’ambisonique prenait alors pour moi tout son sens, une espèce d’adéquation entre la forme et le fond. Inscrire un cercle à l’intérieur d’un cube. Je poursuivrai donc ce chemin.

ambisonique Jean-Marc L'HOTEL
16 Silences Habités photo Jean-Marc L’HOTEL

Car si on me demande d’expliquer ce qu’est l’ambisonique, je dirais que c’est plus qu’une technique, c’est une façon d’être au monde sonore.

La notion de point de vue

Pendant des années, nous avons embrouillé notre compréhension du son, contraints que nous étions par nos méthodes de restitution et les principes de bases hérités. La stéréophonie est certes magique, nous avons même parfois les poils qui se hérissent d’émotion, mais il faut se rendre à l’évidence, c’est un pur miracle que réalise là notre cerveau. Tenter de représenter un monde complexe tridimensionnel à l’aide de deux points de diffusions, même en excitant fortement la pièce, tient de la gageure.

La terre sonore n’est pas plate. Comprendre cela a été pour moi un déclic. Avoir les moyens techniques de le mettre en œuvre : une véritable révolution.

C’est parce que nous étions contraints par ces 2 fameux haut-parleur et l’inévitable repliement qui en découlait que nous avons poursuivi pendant des années la quête de la source sonore pure, non entachée des scories parasites du bruit de fond du lieu. Or ce sont très précisément ces scories qui font la caractérisation d’un son, qui en assurent sa compréhension par notre mémoire.

(Moi qui voulais faire un article court, c’est plutôt mal parti…)

Le retournement de l’ambisonique se trouve précisément là : mettre le point de vue de l’auditeur, le point d’écoute ou le point d’ouïe comme disent certains, au centre du dispositif. Cela va à contresens de l’idée largement pratiquée que, sur le plan sonore nous pouvons être partout à la fois. Ce qui revient, à  l’arrivée, à n’être nulle part. Cette confusion est d’autant plus étrange que presque tout le monde semble d’accord avec l’affirmation de A. Kertesz « Ce n’est pas le sujet qui fait la photo mais le point de vue du photographe ». En quoi l’audition échapperait-elle aux règles de l’esthétique visuelle. L’ambisonique, c‘est donc, avant tout, la réintroduction du point de vue.

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16 Silences Habités photo Jean-Marc L’HOTEL

Le goût à la française

A un endroit précis, nous captons, à l’aide de capsules coïncidentes, les pressions acoustiques qui y arrivent. Je dis les pressions car cela peut s’avérer très différent de ce que nous entendons, sachant que dans le triangle « son émis – lieu – auditeur »c’est la troisième composante (l’auditeur) qui est la plus sujet à variations. Question d’attention, d’âge, de fatigue, de préoccupations…ce ne sont pas les facteurs qui manquent.

Pourquoi la coïncidence des capsules me direz-vous, alors qu’en France nous adorons la stéréophonie de phase qui suppose un écartement des capteurs équivalent à l‘écartement de nos oreille ? Très précisément, parce que pour traiter notre signal, pour manipuler cette pâte à modeler sonore, il nous faut nous affranchir des fameuses rotations de phase, souvent dévastatrices. La captation coïncidente est un point de départ, non un point d’arrivée. Au final depuis la révolution introduite par Sven Berge et Harpex, si nous souhaitons une restitution non coïncidente (parce que plus conforme à nos goûts), avec du delta t, nous n’avons aucun soucis à le faire. Tous les outils sont là. L’inquiétude concernant l’éventuel manque de profondeur des capteurs XY vient peut-être du préambule de départ d’une restitution sur deux enceintes délimitant notre cône de vision. Si ce préambule saute, le reste de la construction rhétorique risque d’être remis en cause. La démonstration a pu être faite en diffusant le Brame du Cerf dans un dispositif Cube, montrant ainsi qu’il n’y a pas que les dispositifs en delta t pour créer de la profondeur de champ. D’autres voies son possibles.

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16 Silences Habités photo Jean-Marc L’HOTEL

Une jeunesse difficile

Car depuis sa naissance l’ambisonique doit se battre contre des peurs, des légendes urbaines. En voici quelques unes.

 « La qualité des capsules n’est pas à la hauteur d’une captation  musicale ». Nous ne reconnaissons pas notre formation, nos instruments, nos oiseaux ou nous ne reconnaissons pas le son de nos micros habituels ?

« Le rapport signal sur bruit est pitoyable ». Comment aurais-je pu créer une pièce musicale de plus de 3 heures sur les Silences Habités, si cela avait été le cas ?

« Etre entouré par le son, c’est en être prisonnier. S’immerger, c’est se perdre ». Possible, mais très certainement lié aux craintes de l’enfance.

« La composante verticale du son n’a pas d’intérêt, car les gens sont incapables de discriminer correctement les sons venant du haut ». Certainement très normal depuis que nos dangers quotidiens sont limités au plan horizontal. Si notre survie dépendait de notre attention aux sons venant du haut, nous serions certainement plus pointus.

Je ne vais pas (pour le moment) faire un recueil des croyances, mais il ne faut jamais négliger que lorsque nous abordons la chose sonore il y a beaucoup de psycho et parfois peu de logique. Et que pour parler d’une technique étonnamment qualifiée de nouvelle, (alors qu’elle a plus de 35 ans), il faut prendre en compte l’environnement dans lequel elle tente de se développer.

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16 Silences Habités photo Jean-Marc L’HOTEL

Utilisable pour le Mixage Fou ?

Je trouve que l’intérêt majeur du Mixage Fou est de nous rappeler que le mixage est un jeu, qui doit même nous permettre de donner du sens à des sons qui semblent provenir d’un inventaire à la Prévert.

Mais, est-ce intéressant d’utiliser l’ambisonique dans ce cadre?

Comme, nous avons surtout des sons mono ou stéréo  pourquoi s’embêter à les convertir en format B ? Après tout, les outils de Jean-Marc Duchenne nous permettent déjà de déplacer dans l’espace ce type de sources, en ayant même la possibilité de les élargir avec un peu de divergence. Ma réponse sera assez égoïste. Parce que, je n’ai pas, à domicile, l’installation de haut-parleurs qui me permette un travail en 3 dimensions.

Or, l’ambisonique est totalement indépendant de la configuration des systèmes de restitution. Cette liberté me permet donc de créer au casque, à la maison, (parce que j’en ai acquis peu à peu l’habitude) des compositions multi haut-parleurs en 3 D, avec du haut et du bas, sans faire de grosses erreurs.

J’ai oublié de vous dire que la passerelle entre le format B et le binaural est directe, pas de passage par du 5.1 ou toute autre conversion.

Ensuite, grâce aux outils HOA, je peux fabriquer des espèces de « bulles sonores », de tailles plus ou moins grandes en jouant sur l’enveloppement, et les faire tourner dans l’espace autour des 3 axes. Et utiliser ce qu’aucun dispositif ne permet, les possibilités de zoom ou de recul. Bref réellement jouer à me déplacer et à manipuler un espace sonore.

Du coup, cela rend un peu artificielle la séparation en catégories distinctes, stéréo/ 5.1/ 9.1 / binaural, puisque de toute manière le même mixage peut-être diffusé suivant n’importe quel décodage. Chacun prend le problème dans le sens qu’il veut, mais personnellement je n’ai aucune envie de recommencer une création à chaque changement de dispositif de haut-parleurs. Et puisque je dispose des éléments pour faire écouter la pertinence de  la composante verticale du son, j’en profite. Dans un certain sens, c’est un peu le même saut qualitatif que le passage de la mono, à la stéréo.

ambisonique Jean-Marc L'HOTEL
Cube Jean-Marc L’HOTEL

Quels sont les outils aujourd’hui à notre disposition ?

On a énormément progressé depuis l’écriture du livre blanc en 2007 : la captation de son multicanal. http://jeanmarclhotel.eu/cahiers-techniques-de-tapages/

Certes, VVMic est toujours le plugin gratuit de base, pour un décodage jusque 8 canaux. Il est même aujourd’hui en version Mac et PC.

Le plugin historique de l’inventeur Michael Gerzon, même si il est « cassé » pour le 5.1 (cf article de Angelo Farina) est toujours très utile, si vous arrivez mettre la main dessus.

L’université de York avait fourni le socle historique des outils de manipulation.

Mais depuis, Soundfield à développé une version 2 de SurroundZone qui est maintenant gratuite. Pour stéréo et 5.1

Daniel Courville à l’UQAM de Montréal avait déjà mis à disposition de très beaux outils. Pour Mac uniquement, jusqu’à présent.

Entre temps, Harpex est apparu et a révolutionné le décodage (jusque 8 canaux) en apportant un enveloppement encore inconnu jusque là. Le plugin est payant, certes, mais au regard de ce qu’il apporte et de la somme de travail qu’il a nécessité, cela me parait normal.

Tout comme parait normal le prix des plugins Blue Ripple de Richard Furse. Je ne connais pas aujourd’hui de décodage de meilleure qualité sonore. Quant à ses outils de manipulation, ils sont tout simplement époustouflants. En cadeau (free download), il y a même des TOA (Third Order Ambisonic) Panner, Beamer et Visualiser dont vous me direz des nouvelles.

Si vous souhaitez des outils HOA gratuit, vous pouvez aller voir du coté de la HOALibrary de Paris 8.

Les plus curieux  ou les plus courageux iront chercher les outils de Bruce Wiggins.

N’oubliez pas d’aller visiter le site d’Euphonia et  regarder les outils de décodage pour Tetra Mic, ainsi que l’incontournable Gyrophonia pour les manipulations.

Très récemment NoiseMakers vient de sortir des outils bon marché de très bonne facture.

Bien évidemment, d’autres outils, plus exotiques existent, mais nous avons là, déjà largement de quoi nous noyer.

Au passage, je précise que la façon la plus souple et la plus puissante de faire du multicanal (au dessus de 6 canaux) est de passer par Reaper, ce qui en passant permet d’utiliser des plugins VST. Plus nombreux et moins chers que ceux en AAX.

Si après tout cela vous avez encore faim, nous pouvons déjeuner ensemble.

ambisonique Jean-Marc L'HOTEL
Cube Jean-Marc L’HOTEL

 

Petite précision pour terminer

Maintenant, il faut que les choses soient très claires, monophonie dirigée, ambisonie, ambitonie, pas de phonie du tout, tout cela n’a réellement aucune importance. Seules les compositions et le résultat du travail de chacun compte à l’arrivée. J’ai juste essayé d’expliquer comment, pas à pas, je me suis approprié les outils qui me paraissaient les plus adaptés à mon travail et à mon esthétique, qui soit dit en passant a beaucoup évolué depuis 15 ans. Depuis plusieurs années je sillonne les espaces urbains que je cherche toujours à les interpréter musicalement. Je tente ainsi de montrer la beauté cachée derrière la quotidienneté de la rumeur. Ecouter la ville qui vous entoure, c’est écouter les gens qui l’anime. C’est prendre conscience de la musique qu’ils se mettent à composer ensemble. C’est capter ces moments où leur activité cesse d’être du bruit pour dessiner une organisation, générer des harmonies, marquer des tempis, qui sont le fondement de toute création sonore. Aucun musicien ne peut être indifférent à ces vibrations produites par le mouvement de la vie. Ma poésie sonore sera toujours nourrit de l’humanité du quotidien.

Jean-Marc L’HOTEL

20 février 2016

ambisonique Jean-Marc L'HOTEL
Fable de Venise Jean-Marc L’HOTEL
Et voici rapidement une première réponse à l’article de la part de Jean-Christophe Messonnier
Jean-Christophe MESSONNIER
Salut Jean-Marc,
Cela ne clôt pas les discussions pour autant. Je suis d’accord sur le fait qu’augmenter la spatialité du son permet de moins devoir tailler dans le spectre. Cela s’explique par la psychoacoustique.
Maintenant, je ne crois pas complètement à l’idée d’un média totalement transparent. Le fait d’avoir du son acousmatique implique de devoir imaginer l’espace juste avec du son…
J’ai quelque part l’impression que l’art consiste à filrter avec la limite de nos moyens de représentation de la réalité. Le réel complètement représenté c’est …le réel… et on y est déjà ! Alors pourquoi s’embête-t’on à vouloir représenter ? A mon avis pour pouvoir imaginer ce qui n’est pas là et donc pourrait nous manquer, pour avoir le plaisir de le possèder un peu par notre travail de projection, de reconstitution de ce qui manque à partir de ce qui nous reste : nous et nos infos sensuelles.
 A bientôt,
 Amicalement,
Jean-Christophe

Cet article a été initialement commandé pour le site du Mixage Fou.

Il sera également en ligne sur le site de l’AFSI

Logo Mixage FouCette année le thème du Mixage Fou était la PAROLE.

Mais avant la parole, il y a le souffle et la respiration sans lesquels les mots ne peuvent naitre.

J’ai donc collecté tous les silences  de la bibliothèque proposée (quand ils n’avaient pas été tués par un noise-gate) pour en faire une bande son et finir par ce très beau d’ensemble proposé par Guy Senaux.

Je remercie celles et ceux qui ont été sensibles à cette intention (attention ?)

Jean-Marc L’HOTEL

Partenaires Mixage Fou

Les résultats

/ Catégorie Stéréo /

– Anne-Line Drocourt (25 ans, Angoulême, France) / prix du jury Mixage Fou

– Amélie Nilles (25 ans, Paris, France) / prix du partenaire La Semaine du Son

– François Accart (48 ans, Issy les Moulineaux, France) / prix du partenaire Areitecr

– Kaspar TORN (39 ans, Tallinn, Estonie) / Prix du partenaire Ambient Recording GmbH

– Julien Para (14 ans, Rousset, France) / Prix du partenaire G4F – Game Audio Factory

– Clément Roussillet (30 ans, Pantin, France) / Prix du partenaire Sensomusic

/ Catégorie Binaural /

– Philippe Donnefort (54 ans, Viry châtillon, France) / Prix du jury Mixage Fou

– Hanna Matahri (25 ans, Paris, France) / Prix du partenaire Noise Makers

– Jean-baptiste Sauret (30 ans, Toulouse, France) / Prix du partenaire Noise Makers

– Alexis Franczuk (36 ans, La Selle en Coglès, France) / Prix du partenaire Noise Makers

– Olivier Buchheit (39 ans, Metz, France) / Prix du partenaire Bande Annonce

– Jean-Marc L’Hotel (59 ans, Rueil Malmaison, France) / Prix du partenaire Orbe

– Joseph Guarini (35 ans, Chicago, USA) / Prix du partenaire LIMSI CNRS

/ Catégorie 5.1 /

– Jean-Marc L’Hotel (59 ans, Rueil Malmaison, France) / Prix du jury Mixage Fou

– Olivier Naudin (42 ans, Poitiers, France) / Prix du partenaire Le Cube – Centre de création numérique

– Vincent Michel (56 ans, Saint-Vincent-les-forts, France) / Prix du partenaire Digital Salade

– Adrian Kurth (29 ans, Bruxelles, Belgique) / Prix du partenaire Digital Salade

– David Michriki (42 ans, Paris, France) / Prix du partenaire 3Dias

 Catégorie Auro-3D 9.1 

– Jean Marc Weber (55 ans, Chalon sur Saône, France) / Prix du jury Mixage Fou

Catégorie WFS objet Sonic Emotion 

– Amélie Nilles (25 ans, Paris, France) / Prix du jury Mixage Fou

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