Lundi18 janvier 2016
entretien avec Michel CREÏS
Notre rencontre avec Michel CREÏS remonte à « MARCHE et RÊVE ». Voulant savoir si je n’étais pas en train de réinventer le fil à couper le beurre, je me suis lancé dans quelques recherches sur Internet.
C’est comme cela que je suis tombé sur « ECOUTER PARIS » le site développé par Monica FANTINI et Michel CREÏS (en autre) pour donner à écouter leur amour de Paris.
Dans la vie de tous les jours quel rapport au sonore as-tu ?
Je n’ai jamais conceptualisé mon travail. Sauf quand on a commencé à réfléchir sur le site, là on à commencé à se poser des questions …En fait c’est faux ce que je dis. Il y a 10 / 15 ans quand on a commencé à travailler avec certains réalisateurs, on a un peu réfléchi sur ce qu’on faisait. Il y a même un moment où j’ai été obligé de réfléchir au travail que l’on faisait en tant que chef-op de documentaire, de fiction, ou de mixage. Il y a eu tout un travail de sauvegarde de connaissances et de savoir faire. Là, pendant un mois et demi, des gens m’ont posé des questions sur mon métier. Comment je concevais une prise de son ? On a réfléchi à des choses auxquelles on ne pense jamais. En travaillant sur ce questionnement, on s’aperçoit que, petit à petit, on a mis en place une stratégie cohérente, même sans l’avoir théorisée avant. Que dans le travail, on peut avoir une espèce de logique, une cohérence dans la façon dont on va s’organiser. Comment on pense le mixage ? Comment on le met en place ? Mais pendant très longtemps, mon rapport au son était très intuitif.
Est-ce qu’il y a une écoute professionnelle, et une écoute non-professionnelle ? Je pense qu’il y a une écoute professionnelle forcément. Dans la rue, je n’ai pas une écoute technique. Quand on fait une prise de son, quand on fait un mixage, on a forcément une écoute technique. Un écoute de qualité, de rapport de sons, de niveaux, tout ce qui ne se passe pas dans la vie réelle.
Moi je voulais faire du son. J’étais rentré à la radio, parce que je voulais faire du son. Pourquoi ? C’est certainement plus proche de la psychanalyse que d’autre chose. C’était un peu flou au départ, mais c’était plus la fiction qui m’intéressait. Créer des univers. Quand j’avais 15/16 ans, il y avait déjà des minicassettes, et on commençait avec des copains à fabriquer des petites fictions sonores. Avec un magnéto et des disques, on essayait de mettre des bruitages derrière. Le son, c’est magnifique pour fabriquer des univers sur lesquels on a une prise. C’est léger. Ça ne nécessite pas beaucoup de matériel. C’est certainement ce qui m’a amené vers la radio. Et puis, petit à petit dans le travail, on apprend à écouter. Alors que dans la vie, on n’apprend jamais à écouter. On écoute de manière intuitive. Sauf les musiciens, mais ils ont une écoute particulière. Je vois mon épouse qui est illustratrice, des fois je lui faisais écouter des trucs, elle ne les entendait pas. Parce qu’elle n’avait pas l’oreille, ou l’état d’esprit, …elle entendait des choses vaguement mais elle ne les percevait pas. Alors qu’elle voyait bien sur une image, des choses que je ne percevais pas dans l’organisation. Elle y était plus sensible que moi. Je pense que mon écoute naturelle (celle de la vie de tous les jours), a évolué au fur et à mesure de toutes ces années de travail. Maintenant, je suis beaucoup plus sensible à l’environnement acoustique qu’avant. Plus sensible que d’autres qui vont entendre des choses, sans les analyser, sans y faire attention.
Dans ton cheminement, ton expérience sur le son de Paris, elle est venue à quel moment ?
En fin de compte, le site, s’est réalisé un peu dans la même perspective. L’idée, c’était de donner à entendre, d’attirer l’attention des gens qui iraient sur le site, sur l’écoute de l’environnement sonore. C’était l’idée des promenades que l’on faisait avec des professionnels qui expliquaient aux gens leur écoute afin de leur faire prendre conscience de la perception de l’environnement sonore. On peut apprendre à écouter et ne pas vivre l’environnement sonore uniquement comme un environnement perturbant. Pas comme une nuisance.
C’est un peu ce que disais John Cage. On peut apprendre à écouter des sons que l’on n’aime pas. Même les freins des métros qui à une époque balançaient un signal très bruyant, ont une certaine beauté. Et si on écoute les sons autrement, on les vit moins comme une nuisance ou comme des éléments perturbants. Donc l’idée du site, c’était de décaler légèrement. A Paris, on ne nous parle que de nuisances sonores. Et jamais de prendre une petite rue, de faire 300 m, pour se retrouver dans des environnements calmes, légers, où tout d’un coup on pourra entendre des oiseaux, des gens qui marchent. Un univers totalement différent. Avec des variations de couleur selon les déplacements, en fonction des lieux, de l’architecture, du temps, de la saison. C’est extrêmement mouvant. L’idée c’était de donner aux gens la possibilité d’apprécier l’environnement sonore de Paris, avec plus de plaisir. Un coté presque éducatif.
Mais là, tu n’es plus du tout dans l’écoute analytique ?
L’écoute analytique, c’est une partie du travail de l’écoute professionnelle. Quand on fait un mix il y a une écoute technique, une écoute artistique, une écoute de sens, qu’on ne peut pas faire toutes en même temps. Comme il y a plusieurs écoutes, il faut les étager les unes après les autres.
Mais ce désir d’amener sur une écoute autre…
Ça c’était parce que j’ai personnellement du plaisir à me promener dans Paris et à être là. Il y a toujours quelque chose à écouter. On a toujours l’oreille attirée. Ça peut être des gens qui parlent. Ça peut être des voix. Ou simplement des pas dans un couloir de métro qui résonnent. Ça va devenir un peu théâtral, ça va devenir un peu mystérieux, ou magique.
On peut tourner une rue, et hop, d’un seul coup le son bouge.
Mais tu n’as pas eu un facteur déclenchant particulier. Quelque chose qui t’a fait te dire : maintenant j’y vais ?
Dès le début, où j’ai commencé à faire de la prise de son et du mixage, j’ai appris à analyser les défauts techniques et à enlever les scories. Et puis après, il y a eu l’écoute artistique. A quel moment cette scène va être mieux qu’une autre, pas simplement parce qu’il y a moins de bruit de fond ou que les comédiens sont plus présents. Non, qu’est-ce qui se passe ? A quel moment ça prend ?C’est assez subtil, c’est fin. Il suffit de presque rien. C’est une chose, un peu impalpable, qu’on apprend avec le métier. En travaillant avec les autres, en écoutant les autres on forme son goût et son écoute.
J’ai travaillé ensuite à l’ACR (atelier de création radiophonique) où j’ai beaucoup appris. Là on avait du temps pour affiner le travail et chercher des choses plus artistiques. Je n’ai jamais eu de rupture. Pour moi cela a toujours été ensemble.
Du coup, je me pose une question : est-ce que notre formation de technicien nous a aidés, ou nous a handicapés pour écouter la ville ?
J’ai du mal à répondre.
A l’époque, on faisait des documentaires et dès le début on envisageait la prise de son en préparant déjà le mixage que l’on ferait derrière. En la mettant dans une espèce d’environnement. On pourrait dire, en la mettant en scène. Il n’y a pas de réel, il n’y a pas de réalité. Quand on écoute, on est toujours en train de se focaliser sur des éléments qui bougent. J’ai déjà essayé d’écouter comme un micro. On n’y arrive pas, c’est extrêmement compliqué. Nous, on discrimine tout le temps. On est constamment en train de hiérarchiser, donc de construire notre réalité. Notre perception du monde n’est pas forcément la même que celle de la personne qui est à coté. On n’aura pas forcément le même ressenti. Pour la prise de son, c’est pareil.
C’est un peu ce que l’on voulait faire quand on a réalisé les promenades sonores: redonner le ressenti d’un lieu. On pourrait dire le parfum du lieu. Un peu comme un photographe qui va se promener dans la ville. Lui il travaille avec des instantanés, nous on travaille dans le temps. Parce que le son, c’est du temps.Tout le temps. L’idée, c’est de recomposer et de proposer quelque chose qui raconte quelque chose.
Tous les jours, est-ce qu’il y a des sons que tu va chercher ?
Oh non. A partir du moment où on a pris l’habitude d’écouter, on écoute. On ne change pas en fermant la porte du studio. C’est une acquisition. Oui, dehors, je n’ai pas une écoute technique, je ne cherche pas le rapport de quel signal, sur quel bruit ? Je m’en fous. Par contre ce que dit Michel RISSE, je trouve cela très juste : il n’ y a pas de son beau en soit. Le son est toujours lié au lieu dans lequel il va vibrer. C’est lié au champ acoustique dans lequel il va se trouver.
Tu es sensible à l’espace acoustique ?
Oui, il y a des lieux que j’aime plus que d’autres. J’aime bien les choses réverbérées aussi. Je ne sais pas pourquoi. Parce que c’est plus riche, ou parce que c’est plus théâtral aussi. En tout cas, il y a un son que j’aime beaucoup, c’est le vent dans les feuilles des arbres. C’est un son que j’ai essayé d’enregistrer plein de fois, c’est extrêmement compliqué. On a essayé en studio de redonner cette impression mixant 2 sons différents. Une bruiteuse avait une branche qu’elle agitait en premier plan pour donner un peu de matérialité.
Il y a aussi le vent dans les blés. Il y a ce film magnifique, URGA. Il y a un plan où il y a du vent dans du blé, ou quelque chose comme cela et c’est d’une beauté….
Je ne suis pas certain qu’il y ait beaucoup de blé, même en Mongolie intérieure…Plutôt la steppe.
Ou quelque chose comme cela. En tout cas, c’est un son absolument magnifique. Mais, j’ai gardé le souvenir avec l’image. Plein de fois, j’ai essayé d’en enregistrer. Mais c’est comme la pluie, c’est du bruit blanc, si il n’y a pas une caractéristique qui va faire prendre conscience de la matérialité, ça reste un peu abstrait. J’aime bien le silence aussi. De grands endroits où il y a une espèce de silence habité léger. J’aime bien. J’aime les sons qu’on ne voit pas. C’est pour ça certainement que je fais de la radio.
Et récemment à Paris, tu as découvert des sons ?
Pour le site on avait enregistré sur la butte Bergeyre, un endroit très beau, avec des variations acoustiques. Un endroit urbain où au détour d’un coin, on est ailleurs. Une des rares fois, où on peut se rendre compte que l’on peut s’affranchir des bruits de circulation. On a pu enregistrer sur le toit d’une des maisons tout en haut. Il y avait la rumeur de la ville, très douce, c’était très étonnant.
Il y a des choses magnifiques. A Alfortville par exemple, il y a bien sur l’autoroute au loin, il y a du grave. Et puis il y a l’école vétérinaire qui possède des coqs. Et d’un seul coup, on entend ce coq très loin, dans la ville, et c’est extraordinaire. Ça donne une perspective. Non seulement parce qu’il y a de la profondeur, que l’on entend la distance, mais tout d’un coup, ça fait rêver. Parce qu’on s’imagine à la campagne. Il y a un jeu presque théâtral. C’est étonnant, non ? C’est peu de choses, mais d’un seul coup c’est comme si on respirait.