Lundi 11 janvier 2016
entretien avec Michel RISSE
Notre rencontre avec Michel est récente, elle remonte à février 2014, au court de l’Université d’hiver du Cresson à Grenoble.
Je cherchais où dîner après une projection d’ « un condamné à mort s’est échappé » commenté par Jean-François Augoyard, il m’a invité à sa table, depuis nous échangeons sur nos projets dès que nous le pouvons.
Pour les curieux que nous sommes, tout deviendra prétexte à jouer, à faire vibrer. Du banc public, à la canalisation de descente d’eau, en passant par les rambardes d’escalier, nous utiliserons tout ce qui est à notre disposition pour faire ré-sonner l’Ecole d’Architecture.
Par la suite nous prendrons grand plaisir à écouter ensemble les échos de la Ville. Ces promenades où chacun se tait pour mieux entendre sont de purs moments de plénitude où nous avons le sentiment d’être incorporés aux lieux que nous traversons. Le plaisir de la flânerie est redevenu une véritable poétique du quotidien.
Où situes-tu la frontière entre ta pratique quotidienne de l’écoute du monde et ta pratique professionnelle ? Si elle existe.
En effet c’est vraiment très poreux. C’est même tellement quotidien et permanent que, progressivement, je considère que composer, c’est juste savoir partager une écoute.
A quoi fais-tu attention dans les sons qui t’entourent ?
En général je ne fais pas attention. Les sons m’appellent, ils m’intéressent, ils se manifestent, ils m’attirent. Mais je crois que je peux aussi rester sourd pendant de longs moments.
Qu’écoutes-tu tous les jours avec le plus de plaisir ?
Je ne m’étais jamais posé la question, mais j’aime beaucoup le passage de la nuit au jour, et je crois que l’aube est une sensation autant acoustique (mais moins consciemment) que visuelle. Il y a bien le lever du jour, et les belles lumières du matin, mais c’est aussi un réveil acoustique, et c’est ce passage qui est fascinant, pas un état, une image ou un son en particulier.
Quels sont pour toi les sons les plus beaux ?
Là aussi, les sons absolument beaux, en eux-mêmes, n’existent pas. C’est plutôt des contextes d’écoute, des acoustiques, des résonances. Je suis de plus en plus sensible à ça, et je repère de plus en plus d’endroits du globe où les sons, dans leur diversité, « existent » particulièrement bien. Ces endroits ne sont pas des « points », comme on dit un « point de vue » ou un « point of interest », mais plutôt des zones ou des parcours, où il fait bon écouter, non seulement les réflexions, les échos, les perspectives, mais aussi les changements, les variations en fonction de l’orientation, de l’image, du déplacement… Ce qui m’amène à répondre à la question suivante :
Pourrais-tu partager avec nous une émotion sonore récente ?
Je reviens juste d’un séjour à Baden-Baden avec ma fille, où nous avons flâné jusqu’à un vieux quartier presque désert. Il régnait un silence proche de ceux qu’on trouve dans les tableaux de Chirico, et non seulement chaque son (pas, corbeau, voix…) apparaissait avec une définition, une « valeur » remarquables, mais aussi il disparaissait dans un évanouissement très doux, la belle réverbération des pavés, la hauteur des murs, les proportions et la géométrie des rues faisait à la fois comme vibrer et envelopper chaque son comme pour mieux lui faire trouver sa place et disparaître dans le calme ambiant.
Pourrais-tu partager avec nous une émotion visuelle récente ?
Là aussi, ce serait plus la lumière sur quelque chose que quelque chose en soi. Et à nouveau je songe plus à l’état transitoire entre nuit et jour, entre jour et nuit. En revenant de Baden-Baden et de l’émotion sonore dont je viens de parler, nous roulions vers l’ouest au crépuscule ; le ciel était noir de nuages sauf à l’horizon où de grandes déchirures laissaient apparaître des nuances de bleu, violacé, mauve… rouler vers ce tableau en décomposition, sous la pluie, dans le jour finissant, n’était pas seulement émouvant parce que les couleurs étaient belles, ni même parce qu’elles étaient belles dans le contexte de ce ciel noir, mais certainement aussi à cause de son caractère disparaissant.
Et si on devait creuser un peu, de quel coté irions-nous ?
Je tente parfois d’expliquer que l’ambiance acoustique c’est un peu le symétrique de la qualité de la lumière : l’objet en soi n’émet pas d’image, il est invisible tant qu’une lumière ne s’est pas réfléchie sur lui, et c’est la qualité de cette lumière qui va le faire apparaître de mille manières différentes. L’objet sonore (bruit quotidien ou instrument de musique) au contraire émet quelque chose, mais nous avons besoin d’un milieu dans lequel ces ondes vont « vivre » pour pouvoir en apprécier les qualités, et éventuellement trouver que c’est un « beau son » ; en chambre sourde, aucun objet sonore n’est beau, il a l’air « éteint ».
Je pousse parfois le bouchon encore un peu plus loin, en disant que quand je ne sais pas par quoi commencer, je mets d’abord de la réverb, et ensuite éventuellement je mets des sons 😉 Je crois que j’ai été traumatisé par mes camarades musiciens radicaux de « musiques de gauche » qui faisaient la grimace dès que je mettais de la réverb, car ils trouvaient que ça faisait « variété » !