mon CARNET de RENCONTRE Jean-Christophe PARE


mon carnet de rencontreL’année dernière, j’exposais 16 SILENCES HABITES au Collège des Bernardins.

Certes les lieux entendus étaient magnifiques, mais plus intéressant encore était le chemin parcouru.

Ces 16 lieux avaient donné naissance à 16 rencontres fortes et fondatrices.

Durant cette Semaine du Son je mettrai en ligne, chaque jour, un entretien sur la place qu’occupe le «sonore» dans la vie quotidienne de quelques personnes qui ont marqué ma route.

Vous pourrez retrouver cette espèce de blog éphémère, sur les sites de l’AFSI et de la Semaine du Son.

Mercredi 13 janvier 2016
entretien avec Jean-Christophe PARE

Notre rencontre avec Jean-Christophe PARE est récente, elle remonte à l’hiver 2015 et à mon travail sur le Silence. L’accueil des professeurs de danse du Conservatoire avait déjà été exceptionnel. L’ouverture de leur directeur finalisera cette alchimie. Nous marchions sur des chemins très proches. Nos routes se sont croisées.

Jean-Christophe PARE 1

 Existe-t-il une séparation entre la pratique professionnelle et l’écoute personnelle chez les danseurs ?

 Je dirais que cela peut se recouper car le danseur est entièrement habité de la musique avec laquelle il est en train de travailler. Lorsque tu entends une musique trente ou quarante fois dans la journée, tu l’as en tête en permanence. Ça déplace forcément ce que tu vois, ce que tu dis. Moi je chante, je chantonne, je siffle en permanence. Ça me donne une certaine dynamique, une certaine énergie. Cette énergie vient se percuter avec le quotidien.

J’ai travaillé avec 60 chorégraphes différents, mais je repense à une pièce de Susanne Linke qui faisait partie des grandes dames de la danse comme on disait à l’époque en Allemagne. On était sur « Etat de Guerre ». Bruits de métro, bruits de tremblements de terre, musique pas gaie du tout. Et toi, tu baignes à longueur de répétitions dans cet univers sonore. Forcément quand tu prends le métro et que tu entends les mêmes bruits, tu ne peux pas ne pas y penser. On travaillait, des gestes liés à des gens qui se seraient sur un quai, métro ou gare, on ne le savait pas, alors forcément, ce que je voyais, ce que j’entendais, me ramenait à la pièce. Il y a une certaine porosité entre ce que tu apprécies du son dans lequel tu es baigné lorsque tu es danseur et ce qui t’en reste, comme des traces dans ce que tu es en train de vivre au quotidien.

Et qu’est-ce que cela produit ? Une friction, ou cela permet aux deux de …

Non ce n’est pas une friction, c’est un tuilage. J’aime bien parler de régime énergétique quand on est un artiste, quand on est un créateur.

L’écriture pour moi, et j’y crois de plus en plus, se constitue à partir d’un certain registre énergétique, qui t’habite, qui te traverse. Les comédiens diraient la même chose, ils sont habités d’un personnage, ils ont sans doute un phrasé, un état d’esprit, un état de corps, une psychologie du personnage qui glissent dans leur quotidien. Ils ne le dépose pas en sortant. Ce n’est pas une tension, dans le sens d’une friction, mais çà colore, çà teinte le quotidien.

Je pense à des livres d’Antonio Damazio qui est un neuro-physiologue, qui lui parle de sentiments d’arrière fond qui peuvent t’habiter durant plusieurs semaines. Tu es dans une humeur particulière. Tu la décèles à peine au quotidien, mais elle est quand même présente. Par moment, cette humeur est positive, et puis par moments elle est négative. Tout ce que l’on perçoit, tout ce que l’on ressent, y compris le sonore est teinté de cette humeur. Çà laisse des traces, mais en même temps, çà reste fluide. Je n’ai pas de souvenirs, en tant qu’artiste, d’avoir vécu des moments où il y avait une contradiction. Çà t’habite et tu vis avec.

Une espèce de révélateur ?

C’est quelque chose de cet ordre là. Je pense que ce sont des empreintes. Du coup, çà devient des indices dans la vie quotidienne qui relient à ce que tu traverses. Ces connexions sont d’autant plus fortes que tu en train d’inscrire une mémoire. Du coup, sans même y penser, ton présent te connecte.

J’aime beaucoup le jazz. J’ai toujours été habité de musiques. Mais quand je m’accroche à une musique, c’est peut-être lié à mon expérience de danseur, je deviens assez obsessionnel. Le danseur fonctionne comme ça. Il est beaucoup sur un principe de répétition. Il faut qu’il répète énormément. Tu l’a bien vu quand on travaillait en studio. Et encore, on a travaillé à toute vitesse. Alors tu peux imaginer que lorsqu’on travaille avec un chorégraphe et que l’on répète des dizaines de fois le même phrasé, cela puisse devenir obsessionnel. Et cette musique nous habite tellement qu’au bout d’un moment on en goûte vraiment, de manière très fine, toutes les substances. Du coup, c’est le régime énergétique véhiculé par la musique qui t’habites et qui va éprouver ton quotidien, un univers de bruits, de bruissement, de sons qui ne sont pas pourtant pas perceptibles comme une écriture organisée.

Vous avez acquis une hypersensibilité au rythme ?

Oui, on a une hypersensibilité, mais après il faut faire la part des choses. D’un coté, il y a, ce par quoi on est habité et dont on pourrait dire que cela fait parti de notre savoir. Un savoir «académique» qui nous constitue fondamentalement. C’est ce que j’appelle le geste fondateur. C’est à la fois psychologique et génétique. Il y a, par exemple, des musiques qui m’appellent beaucoup plus facilement que d’autres. Il y a certaines rythmiques sur lesquelles je colle directement. Si je rencontre un chorégraphe qui travaille là-dessus, je suis immédiatement en empathie.

Je peux évidemment intégrer des musiques qui n’ont rien à voir avec mon univers personnel mais je vais être «en distance». Au final, elles pourront m’appartenir, parce qu’il y aura eu un travail d’apprentissage, d’études, et d’analyse qui me fera les incorporer. J’aurai fait une transposition par rapport à mon univers personnel et cela fonctionnera.

Dans la vie quotidienne nous sommes en relation avec nos éléments fondamentaux. Ce que nous appelons notre geste fondateur. C’est un phrasé particulier, donc un état tensionnel du corps, particulier. C’est une musicalité particulière donc un rythme particulier. Une durée particulière. C’est aussi un relationnel particulier avec les gens. Dans notre relation avec les autres on attrape aussi l’énergétique de l’autre, on négocie avec. Ce sont des qualités d’appui, d’élan, de transfert, on appelle cela des élans posturaux. En fait, c’est du temps et de l’espace.

C’est deuxième composante que je trouve très liée à la chose sonore, l’occupation de l’espace. Pour le rythme, je le savais. Je sentais même plus une rythmique du corps qu’une rythmique de la musique. Parce qu’en permanence vous êtes dans le tempo, au point de savoir quand ralentir, quand accélérer. Alors, que pour moi, un musicien ne fait pas çà, il s’y met tout de suite, mais il n’est pas en flottement jusqu’au moment où il est synchronisé.

Oui, tu parles d’une manière d’entrer en synchronisation avec un espace sonore, avec une musique.C’est ce que dans notre geste fondateur, on appelle une musicalité corporelle. Cette musicalité corporelle, c’est fondamentalement nous. Donc, il faut que nous rentrions en résonance, en relation, avec un espace sonore qui est extérieur à nous. Il y aura bien sur un jeu de négociations qui passera par un approfondissement de l’écoute de l’univers sonore de l’autre, une entrée en relation. On y arrive, sans être totalement collé à la musique, mais par un vrai jeu avec la musique. A ce moment là le danseur, lui même, a la sensation d’être dans la musique. Et le spectateur aura la même sensation, alors qu’on n’y est jamais vraiment. On n’est jamais collé totalement parce que le corps a ses raisons, ses manières de fonctionner, ses mécanismes qui sont incontournables. Par contre, on va tellement l’éprouver dans notre jeu,… , plus ou moins en avance, plus ou moins en retard par rapport à la musique, que ce ne sera absolument pas un problème. Ce sera absorbé. C’est un jeu de rencontres qui passe à la fois par une écoute très fine, qui est en même temps un dialogue. J’entends la musique, je suis baigné de l’espace musical ou de l’espace sonore et je déploie des espaces de compression ou de dilatation du temps de mon acte, mais je le fais à l’écoute de la musique. Je le fais en harmonie. Je sais jusqu’à quel point la distanciation, la distorsion est possible. Et puis après, je reviens vers la musique. Et dans ce dialogue intérieur, je pense qu’il y a quelque chose qui a à voir avec, dans le temps on aurait dit les humeurs, c’est-à-dire, c’est un état d’esprit.

J’aime beaucoup travailler sur les climats émotionnels. Si tu es dans la mélancolie par rapport à la musique, tu va tirer, tu va te mettre en retard. Et puis à un moment donné tu va recompresser l’espace pour retrouver la musique. Tu va même la dépasser un peu, et à nouveau tu vas repartir. Çà, c’est un jeu émotionnel qui est très fin et qui fait toute la saveur. C’est un jeu très agréable parce que tu commences, à cet endroit là, à dialoguer avec la musique. C’est génial parce qu’il n’y a pas de limites, même si le jeu des nuanciers est très minimal. Mais il est énorme, parce que c’est un entre-deux qui te laisse une marge de manœuvre illimité.

Un peu comme une CC, si elle est en avance ou en retard, çà change tout.

Oui, çà change le climat. Je dis que c’est un climat émotionnel, parce que c’est très lié avec l’émotion de vouloir frapper l’espace-temps, le combattre, l’affronter ou alors le retenir, parce que tu regrettes déjà qu’il t’échappe. Ou alors, tu as le plaisir d’un élan qui te fait le dépasser. Pour moi, ce sont vraiment des couleurs émotionnelles, qui sont à l’arrivée extrêmement simples. C’est juste: je veux rompre avec cette chose là, parce qu’à l’arrivée, je désire un autre espace temps, comme un désir amoureux. Il y a une sorte de sensation très positive à ce moment là. Ou alors, je regrette tout simplement qu’il soit parti, et j’essaye de le tirer, de le retenir. C’est juste çà : deux couleurs. Mais après tu as un nuancier infini autour de tout çà.

Là on ne parlait pas de l’espace vraiment, on parlait plutôt du rapport au temps. J’ai vécu le week-end dernier une expérience à la fois très positive et assez désagréable. Je vais voir cette expo au Musée d’Orsay sur « splendeurs et misères de la prostitution », sur la période 1830 / 1850…C’est une expo victime de son succès, donc il ya énormément de monde. Le plaisir c’est que l’expo est très bien foutue, très bien documentée, avec des photographies, des esquisses que l’on ne voit jamais Elle est vraiment bien faite. Elle aborde le sujet sans détours. Mais les salles ne sont pas très grandes. Elles sont bien foutues, bon éclairage, la scéno est assez cohérente, mais il y a trop de monde. Donc il y a trop de bruit. Trop de bruits de pas, trop de bruits de gens qui parlent, trop de murmures, trop de frottements de tissus, de machin… Une sorte de brouillard permanent. Et très vite ; çà m’a horripilé, parce que je ne voyais plus les œuvres. Cela me devenait insupportable. Je ne regrette pas d’y avoir été mais le rapport entre l’espace et l’espace sonore était trop fort. Tout d’un coup, cette surcharge de présence humaine dans un lieu, décalait tout. Le regard porté, se froissait à cause du trop plein de bruits. A un moment donné, je n’entendais plus que çà.

J’aime bien l’idée que la foule empêche d’écouter un tableau.

La dernière expo où j’ai pu trouver une sorte de repos, c’était au Grand Palais, l’expo de Bill Viola. Comme il n’y avait pas grand monde, tu pouvais t’asseoir dans la salle. Et puis les gens étaient très calmes, ils regardaient les vidéos et là c’était vachement bien. Tu pouvais prendre ton temps. C’était fait pour la contemplation. Car si tu veux profiter des œuvres, il faut rester au moins 20, 25 mn devant certaines sinon tu ne les vois pas en entier. Il y avait une invitation à cette attitude, et tout de suite, il y avait le calme. Quand on parle de régime énergétique, cela dit bien que l’artiste par son projet impose une qualité de silence qui permet de gouter à une spatialisation. Les œuvres sont très belles et sont données à voir dans des espaces où tu as du recul. En temps que danseur, j’étais bien dans ma peau, assis sur la moquette, décontracté. Et à un moment donné, quand tu es vraiment déposé, tu peux vraiment rentrer dans l’image.

Comment se mettent en place la musique et la danse ?

J’ai dansé des pièces de Merce Cunningham, d’Andy Degroat, de Douglas Dunn, de David Gordon …Presque toujours, on compose la danse d’un coté, la musique de l’autre. A la générale tout le monde se retrouve et le spectacle a lieu le lendemain. Tu as travaillé dans le silence pendant des semaines et puis à un moment donné tu es baigné d’un univers sonore. Comment vit-on cette affaire là ? Il y a bien une tension, puisque tu as approfondis, tu as intensifié l’écoute de tes propres rythmes intérieurs, et à un moment donné, tu es débordé par une musique qui débarque. Alors, tout d’un coup, c’est le bouleversement sensoriel… Mais tu maintiens le cap et, progressivement, tu entends la musique. Bien sur, il y a des limites. Des limites dans lesquelles tu n’iras pas parce que tu ne rentreras pas en empathie avec la musique. Parce que le chorégraphe ne le souhaite pas, ou parce que tout ton travail ne te renvoie pas à çà.

Douglas Dunn travaillait avec le groupe de recherche chorégraphique de l’opéra dont je faisais partie. La musique était de Steve Lacy. Du jazz / free jazz. C’était en 80, à une époque où les gars y allaient bien. Pendant quatre semaines on n’a pas entendu la musique. Lui avait son petit magnéto qu’il écoutait, mais nous on travaillait sur des durées. On était encore sur des principes issus de ceux qu’il avait explorés en tant que danseur, avec Merce Cunningham: le contrôle et la maitrise de la durée. L’assemblage danse et musique se faisait au dernier moment, avec comme point de rendez-vous: la durée globale.

Sauf que la musique de Steve Lacy, ce n’est pas une musique atonale, abstraite, machin, elle est forcément beaucoup plus prégnante pour un danseur. Et donc, tout d’un coup, tu as envie de rentrer en empathie avec la musique de Steve Lacy, mais tu ne peux pas le faire. Steve Lacy et ses musiciens respectent bien les durées, il y a des trames, mais d’un soir à l’autre, il y a des jeux d’improvisation par-dessus et donc, d’un soir à l’autre, c’est totalement différent. Cela fait partie des moments les plus forts de ma carrière. Des moments de plaisir intense, où à la fois tu es dans ta musicalité intérieure de danseur, où tu entends la musique globalement, et où tu écoutes des solos qui surgissent, parce que tu ne peux pas t’empêcher de faire autrement. Le mélange des trois, c’est une vraie intensification de présence. Tu es très très habité de tout çà. En gros, tu es explosé. Il faut avoir beaucoup travaillé la pièce chorégraphique, pour ne pas perdre la mémoire de ce que tu es en train de faire.

Le seul qui s’ajuste, c’est le danseur, ou les musiciens s’ajustent aussi ?

Non les musiciens ne peuvent pas s’ajuster sur les danseurs, c’est impossible. Steve Lacy, c’est écrit, avec des moments d’improvisation ; mais ils seraient incapables d’avoir des points de repères visuels, d’autant qu’ils n’ont pas travaillé avec les danseurs. On se découvre au moment de la générale. Il faudrait qu’ils prennent le temps, mais ils ne l’ont pas. Et nous même nous ne pouvons pas nous ajuster sur la musique. Un danseur lorsqu’il est parti sur ses rythmes….Alors, il y a forcément une fluctuation. Simplement nous, et les musiciens, on était responsables les uns les autres, de la cohérence de l’ensemble. Un danseur le ressent, et un groupe de danseur le ressent encore plus. Parce qu’ils ont beaucoup travaillé en silence sur des durées particulières qui sont maîtrisées parce qu’elles sont induites par des phrasés gestuels extrêmement précis. La marge de fluctuation est minime. On sait tout de suite si on ralentit ou si on accélère par rapport à ce que l’on a fait la veille. On le sent immédiatement.

Effectivement, j’ai été scotché la première fois que j’ai enregistré des danseurs, on peut prendre deux prises et les monter l’une sur l’autre, çà ne bouge pas.

En danse, on est très très fins la dessus. Chez les musiciens, çà fluctue peut-être plus que çà, mais ils sont aussi attentifs à çà. C’est l’ensemble des attentions, partagés collectivement qui fait que tu maintiens le truc. Ça peut bouger, mais ce n’est pas grave, tout a suivi. Là on est à l’endroit de la synesthésie, c’est-à-dire l’endroit où une perception se mélange à une autre. Au niveau sensoriel, l’auditif, le visuel, le tactile, le kinesthésique, le proprioceptif sont très poreux les uns aux autres. Pour le coup, c’est ce que dit Alain Berthoz le neuro-physiologue, on est à l’endroit très éprouvé de la coopération multi-sensorielle. Le cerveau, et le corps, travaillent dans tous les sens. Le corps et le cerveau c’est la même chose. Quand tu regardes le système nerveux, central et périphérique, tu as l’image du corps. Donc, c’est d’une très grande précision aussi pour cela.

Je dirais qu’en tant que danseur, les grandes écritures chorégraphiques sont celles qui sont le plus poreuses aux autres arts. Tu as dansé du Balanchine tu n’oublieras jamais de ta vie. Tu as dansé du Cunningham tu n’oublieras jamais de ta vie. Les partis pris, ce ne sont pas les mêmes, dans le rapport à la musique… soit on est en empathie, soit on est en parallélisme, soit on est dialogue, soit on est en indépendance….mais quand les gens vont à fond dans un registre relationnel avec les autres arts, c’est magnifique. Bob Wilson, avec la scéno, et la lumière, (j’ai dansé le Martyre de Saint Sébastien à l’Opéra) c’est d’une telle précision dans la perception de l’espace et du temps qu’il va créer chez le danseur…Là tu as une force d’écriture…La lenteur, l’extrême lenteur chez lui. Ces durées très très étirées, mais en même temps, l’incroyable précision du travail de la lumière qui fait que quand tu déplaces ta main, tu en vois en même temps le changement de tonalité de teinte. Ce qui te donne à intensifier la qualité de ralenti de ton propre geste, donc en même temps, de ce que tu entends. Donc tout est complètement imbriqué. On va dire qu’une écriture se construit là-dessus.

Les gens qui ne sont pas complètement surs de la relation qu’ils entretiennent avec l’espace sonore, la scénographie, les lumières, les costumes….il va y avoir de la fluctuation mais pas dans le bon sens du terme. Ce ne sera pas de la fluctuation qui sera nourrit d’un jeu particulier. Plutôt une fluctuation liée à une absence de quelque chose. Et toi, tu ne sauras pas quoi faire à ce moment là, tu sera dans le vide. Ça se joue sur des riens du tout, des durées minimales. Des articulations où pendant 2, 3 secondes tu as un doute, et bien ce doute, tu n’arriveras pas à l’éclaircir.

J’ai été très sensible à la quête de sens de chaque articulation qui annonce et qui est encore plus fort que le mouvement lui-même.

Oui, en général, çà se joue là. On doit travailler sur les pré-mouvements, mais les pré-mouvements, çà appartient à tout le monde. Aux musiciens, au scénographe, à l’éclairagiste assurément. Les très bons éclairagistes sont ceux qui voient le pré-mouvement du danseur, ou du comédien et qui vont écrire leur lumière par rapport à çà. Ce n’est pas ce qui se réalise, mais ce qui prépare ce qui va se réaliser. L’écriture, elle se joue à cet endroit là.

S’il y a un message à faire passer aux jeunes artistes, c’est que la matière n’est qu’une conclusion. Sur les ateliers chorégraphiques on parle souvent de çà avec les élèves. Il faut qu’ils enclenchent le jeu d’écriture, mais il faut qu’ils écoutent le moment où, çà va s’écrire. C’est la matière qui renseigne sur ce qui prépare à voir la matière. Il faut qu’ils saisissent ces moments là où : « ah, on a compris… il n’y a plus qu’à débobiner le fil… ». Après, tous tes actes s’enchainent très naturellement. Tu n’as même plus besoin d’y penser. C’est la matière qui te dit comment çà va s’écrire et l’endroit où çà s’écrit. C’est le moment où les gens sont sur les articulations. Le moment où , par exemple, où on saisit qu’au lointain, l’autre vient de switcher son geste. C’est à ce moment là que çà s’écrit. Tout à coup la matière apparaît vraiment, elle est déployée, elle est intensifiée

J’ai été bluffé par la similitude d’écriture entre la dans et la musique

On a fait un travail fin décembre avec un petit groupe de danseurs et des musiciens, des improvisateurs, et du coup j’ai assisté à quelques répétitions, mais on était exactement sur les mêmes problématiques. Qu’on parle de texture, de substance, de rapport au temps, à l’espace, de l’enchaînement des choses, du phrasé, …, c’est impressionnant.

C’est donner un caractère physique à ce que l’on manipule. Déjà le son semble compliqué à faire percevoir comme étant quelque chose de physique, mais je me disais, avant qu’on travaille ensemble, que pour la danse, c’était encore pire. Et bien non ! C’est ce caractère très physique de l’objet construit que je trouve très fort.

Nous les danseurs, on gère deux espaces simultanément. On gère l’espace du corps propre, l’espace intérieur au corps, on dirait en neurosciences l’intéroception. Mais pour nous il n’y pas de densité dans l’espace intérieur au corps, c’est du vide. On éprouve des tensions musculaires mais on est, en fait, dans l’enveloppe. On vit sur la peau. Ce que l’on vit à l’intérieur, on ne peut pas se le représenter d’un point de vue matériel, donc on ne se le représente qu’en flux de mouvements. Mais ce sont des flux qui circulent en fait dans du vide. On ne peut pas avoir de représentation mentale de nos muscles, de notre sang, de nos os, de nos ligaments. Il n’y a pas une matérialité de cela. C’est l’espace du corps propre, on dit l’espace kinesthésique.

Et puis, simultanément, on est sur la projection de tout çà dans l’espace qui nous environne. On passe de l’un à l’autre en permanence et çà, je pense que c’est la grande force du danseur, d’être sur ces deux registres simultanément. C’est un peu un paradoxe, car lorsque tu éprouves ton geste, ce ne sont pas les muscles, mais par contre, c’est le poids, la pesanteur ou l’allégement du corps que tu vas éprouver. Ce n’est pas une matière, c’est une sensation. Tu vas l’éprouver sur des états tensionnels qui vont refroidir ou chauffer, voire qui vont aller à la brulure. Dans certaines articulations, çà brule, mais c’est un plaisir de sentir une brulure comme çà, parce qu’elle ne reste pas. Ce sont bien des changements de température que tu éprouves à l’intérieur de ton corps. L’allégement et l’alourdissement, ce sont des espaces de vide entre les deux, comme des points de suspensions où tout à coup tu ne sens plus rien, parce que tu es en quelque sorte en apesanteur. On appelle cela des points de micro gravité. C’est un mot, mais nous, on l’éprouve en tant que tel. C’est de l’ordre de l’immatérialité du corps. Ce qui est marrant, c’est qu’à ce moment là, tu palpes l’espace, et là tu sens la texture de l’espace. Il y a comme un renversement de la chaussette. Toi, tu es dans le vide à l’intérieur du corps mais tu sens l’espace autour de toi. Comme si tu pétrissais de la terre, de la farine ou de l’eau. C’est vraiment de cet ordre là. Pour moi, faire un mouvement comme cela (il pousse l’air de gauche à droite) c’est ressentir que l’air se presse contre moi, il retient mon geste. Et simultanément à l’intérieur de mon corps, c’est un vide qui est habité de sensations, comme la chaleur.

Ce serait intéressant d’interroger les musiciens, pour savoir comment ils éprouvent leur corps dans leurs gestes de musiciens pendant qu’ils jouent, et ce qu’ils en éprouvent dans leur rapport à l’espace de projection du son .Mais les danseurs on est là dedans en permanence toujours, tout le temps,…, tout le temps. On ne peut pas échapper à cela

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