ambisonique ou le double processus créatif part 1
ambisonique ou le double processus créatif part 2
Selon que l’on soit optimiste ou pessimiste, on s’étonne ou on se désole de voir que le dictionnaire commun pour traduire l’« objet sonore » est soit bien pauvre, soit carrément contradictoire. Une des pistes que je propose pour comprendre cette « étrangeté » est que, nous sommes majoritairement de culture d’apprentissage « visuelle» et que si nous n’arrivons pas à traduire en images ce dont nous parlons, nous n’arrivons pas à l’expliciter.
Je ne vais pas faire un exposé sur la sémantique du son, juste vous parler de mon métier sous l’angle de 2 activités artistiques qui me paraissent proches : la photographie et la sculpture.
Cela fait bien longtemps que l’on ne demande plus à un photographe, dont on découvre le travail, la marque de son appareil. Car nous savons très bien que ce n’est pas la bonne question. Les outils ne sont que des outils. Le plus important sera toujours l’émotion que nous sommes capables de susciter avec.
Est-ce que je reproche à D. Allman (un des guitaristes les plus poignants) de jouer sur Gibson, moi qui adore les Stratocaster ? Il a juste trouvé le couplage parfait avec une tête bass Marshall
Chacun connait les avantages et les défauts de ses outils, et quand il réussit à les maitriser, il est même capable de tirer parti des défauts.
Il est grand tant de dépasser le stade de la technique et d’envisager notre travail comme une proposition créative
Je vais donc aborder :
- comment les outils en format B ont transformé la compréhension de mon métier
- les usages possibles de leur puissance créatrice.
Car, pour moi l’ambisonique me permet de proposer des réponses simples a des problèmes complexes.
I) des photographes du mouvement
J’en suis arrivé à affirmer que la prise de son en format B, est bien plis qu’une technique; c’est une approche différente de l’enregistrement, c’est une attitude nouvelle.
Les maîtres mots de cette pratique seraient : liberté, discrétion, créativité.
Dans mon travail en monophonie, je cherchais à venir au contact des choses. Un combat permanent pour attraper le texte des acteurs. La captation multicanal m’a fait évoluer.
Je suis devenu au fil des ans un « photographe » du mouvement.
Pourquoi est-ce que j’affirme aujourd’hui, que la musique est la chose la plus facile à enregistrer ?
Tout d’abord, parce que l’émotion est déjà là, crée par d’autres et qu’au mieux nous la parvenons à la transmettre, au pire nous la dégradons. De plus, il est communément admis que la musique est le véhicule numéro 1 pour produire de l’émotion. Au point que cela relève même de la « tarte à la crème » si l’on en juge par l’écoute des productions cinématographiques récentes.
1 sentiment à susciter = 1 musique qui dégouline à fond.
Deuxièmement, parce que la chose musicale est ultra majoritairement une affaire statique. Depuis le temps que nous pratiquons cet art, nous commençons à en maitriser les problématiques.
Le mouvement lui, relève d’une toute autre complexité. Et la prise de son ambisonique me permet de résoudre un certain nombre des questions que cela soulève.
La théorie de la prise de son multicanal ne réinvente pas le monde de la théorie de la prise de son stéréophonique, elle en est l’héritière.
On peut donc tirer une ligne entre précision / localisation et esthétique /largeur de l’image et y placer son système de captation favori.
Chacun choisit sa place et l’ambisonique a choisi la sienne : la localisation
a) la nécessaire réintroduction de la notion de point de vue
Comme dit Arnaud Damien de Euphonia, c’est l’essence même du format B que d’être fondée sur ce socle : la prise de son ambisonique, c’est par essence le choix d’un point de vue.
C’est ce qu’avait déjà remarqué Jean-Marc Duchenne en qualifiant mes productions, de : itinérantes et centrées
C’est donc un leitmotiv chez moi: choisir l’endroit d’où nous écoutons.
« Ce n’est pas le sujet qui fait une photographie, mais le point de vue du photographe » A. Kertész
Je suis convaincu que pour pouvoir être transporté, il faut bien avoir des indications de directions vers où aller. Une des pistes pour créer de l’illusion, voir de l’émotion, m’a toujours semblé être la restitution d’espaces sonores cohérents. Au sens de vraisemblables.
b) être autonome
Les systèmes que j’utilise doivent pouvoir être transportés à l’aide de mes 2 bras et bouger grâce à mes 2 jambes. Et se passer, un long moment, d’alimentation électrique.
Cette notion d’autonomie est, pour moi, un préambule incontournable. Car mon travail me demande de me déplacer à pied durant de longues heures, d’être au milieu des gens, de manger avec eux, de prendre le métro avec eux.
c) être à l’écoute, c’est être discret
Parce que nous cherchons à capter le plus authentiquement possible le cœur des choses.
Nos outils se doivent d’être aussi discrets que possible.
Nous ne devons pas oublier un autre axiome de notre formation: « tout capteur de vibrations, à fortiori quand nous sommes présents à côté de lui, modifie la nature même du milieu qu’il cherche à capter ». Ne pas être un obstacle à la propagation des sons a été le point de départ de la fabrication des micros statiques. Est-ce que la prise de son multicanal peut battre en brèche cette certitude ?
Je vais essayer de montrer que la prise de son ambisonique est plus qu’une technique : que c’est une attitude. Et personnellement je l’entendrais presque comme un art martial.
Ce n’est pas un hasard si nos outils utilisent constamment les termes, de composantes, d’axes, de centre, d’énergie, de cohérence.
Mais, être au centre des choses au centre des choses, ce n’est pas être : le centre des choses, pour écouter l’énergie qui nous entoure, la capter, la restituer, nous devons progressivement appartenir à ce que nous enregistrons
Je ne sélectionne plus. Je n’interviens plus. J’essaye juste d’écouter battre le cœur de ce qui m’entoure…
Et ainsi, réussir ainsi à réaliser ce que l’ambisonique a toujours rêvé de faire : inscrire une sphère (mon humanité) dans un cube (le monde)
A l’arrivée, nous enregistrons ce que nous sommes, nous enregistrons qui nous sommes, dans l’espace que nous captons. C’est tout notre être qui transpire dans nos enregistrements.
Nous dépassons largement le stade du field recording. Je tente de formuler le terme d’ « immersive recording » car c’est pour moi la quintessence, l’aboutissement d’une vie de preneur de son. Plus jeune, j’adorais les semi-canons et leur précision sculpturale, puis j’ai appris à m’arrondir, à apprécier les prises de son omnidirectionnelles au point de passer naturellement à la prise de son enveloppante. Mais maintenant, ce n’est plus moi qui enveloppe; c’est moi qui suis enveloppé
La plus grande leçon que j’ai apprise de mes derniers tournages de documentaire en ambisonique, c’est de ne pas chercher à ce que la réalité soit conforme à notre imagination, d’accepter de se laisser totalement surprendre, en permanence.
« Savoir réfléchir c’est bien, mais c’est mieux de regarder et c’est encore mieux de regarder sans réfléchir ! » A. Kertész
Imaginer que ce qui est inconnu soit d’une grande beauté est une attitude plus complexe qu’il n’y paraît. Cet « abandon », afin de se laisser envahir, oblige paradoxalement à une vigilance permanente. Celle de ne pas se laisser aller à nos automatismes. Très souvent nous essayons d’analyser ce qui est nouveau par rapport à ce que nous connaissons, pour tenter une classification : j’aime / je n’aime pas , qui se résume malheureusement trop souvent à : je connais / je ne connais pas. Être à l’écoute est toujours un acte plein d’espoir. Ce n’est plus la question du choix de tel ou tel outils, c’est laisser vivre le moment présent.
d) indépendance vis à vis des systèmes de restitution.
Cela a l’air d’une évidence, mais il est parfois bon de remettre les choses dans le bon sens .
Ce n’est pas la moindre des qualités de l’ambisonique que de nous permettre de réaliser tous les rendus sonores, à partir des mêmes fichiers de base. Le même fichier de la mono à la diffusion 24, en passant par le 7.1 et le surround , trop beau pour être vrai? Non simple retournement de la problématique de corrélation symétrique entre le nombre d’enceintes et le nombre de micros.
Plutôt que de penser que les techniques de prises de son multicanal dépendent du nombre et de la position des haut-parleurs de diffusion, l’ambisonique renverse la réflexion d’une façon intuitivement naturelle, en replaçant l’auditeur au centre du dispositif. C’est cela la caractéristique majeure des systèmes : laisser le spectateur s’immerger au sein d’une ambiance réaliste et cohérente, dont il peut percevoir toutes les composantes. Bien entendu, la gauche, la droite, bien sur, l’avant et l’arrière, mais surtout d’une façon totalement inédite, les notions de haut et de bas. Pour la première fois la composante verticale du son peut être restituée.
II) dans un deuxième temps, nous sommes des sculpteurs
Si j’ai mis en place la première chaîne complète de travail de Son en Relief, et si j’ai assuré la première diffusion d’un film documentaire dans ce format « Je vous écris du Havre… », c’est parce que je suis convaincu que nous avons entre les mains des outils d’une puissance créatrice et émotionnelle formidable.
A l’égal d’un sculpteur travaillant l’argile, nous étirons la matière ou nous la comprimons, puis nous en rajoutons de façon à lui donner, un forme, une couleur.
Comme un sculpteur, nous tournons autour de notre objet, nous le manipulons de manière à le façonner.
Car adopter un point de vue ne veut pas dire, ne plus retravailler.
Quel photographe peut me dire qu’aujourd’hui,qu’il ne retravaille jamais son cliché
On sait très bien que le tirage dépendra :
– de la taille
– du support final (note système de diffusion)
– du lieu d’exposition (notre salle)
a) la vérité est (peut-être) ailleurs
Nous pensons généralement que le but de notre métier serait de capter afin de reproduire le plus fidèlement possible. A mon point de vue, c’est à la fois une utopie et un contre-sens.
Une utopie, car nous savons très bien qu’à l’égal d’un photographe ou un journaliste, nous interprétons ce que nous essayons de retranscrire.
Mais aussi, bien souvent un contre-sens, car l’industrie du cinéma fonctionne souvent par simplification et recherche des éléments simples pour composer un monde virtuel. Or dans nos prises de son en format B, nous leur proposons des éléments complexes, même si ils sont isolables à l’envie. Il y a là comme une espèce de contradiction permanente sur les objectifs.
D’un autre coté, l’ambisonique dans l’audiovisuel, c’est un peu le passage du montage sur bande au montage numérique.
Aujourd’hui, tout le monde cherche des solutions simples qui feraient gagner du temps (ah la belle affaire), et heureusement nous ne pouvons les proposer. En revanche nous avons entre les mains des outils qui nous permettent des manipulations spectaculaires. Nous possédons des micros virtuels. Nous ne gagnons pas du temps; nous ouvrons le champ des possibles.
b) la manipulation des espaces tridimensionnels
Quel mixeur voudrait récupérer un décodage M/S transformé en G/D à 50 /50?
Ce serait bien évidemment un contre-sens par rapport à la M/S
Pour l’ambisonique c’est la même chose, tout l’intérêt réside dans les choix possibles.
A l’intérieur d’un mixage comportant des éléments mono / stéréo / 5.1 discrets, on peut concevoir que le co-mixeur ne s’occupe que de la gestion de la taille et de la forme des éléments ambisoniques. Cela représente une tâche à part entière durant les séances.
Qui va s’en occuper ?
Pour le moment, nous butons encore sur le développement incomplet de nos outils. Essayez, par exemple, de rappeler des presets de différentes configurations de directivités de micros de SurroundZone dans Nuendo 5 et vous m’en direz des nouvelles.
C’est en cela, que le développement du POPA prend un sens : pousser les fabricants à développer les outils dont nous avons besoin, ou les fabriquer par nous même.
Je lance la liste, aux autres de la compléter
– rappel de snapshots de SurroundZone dans Nuendo
– acceptation et développement par Soundfield des bonnettes de CINELA pour le ST 350
– acceptation et développement par Soundfield d’un plugin de décodage 3D
– …
c) ce que nous savons déjà faire… avec Gyrophonia
Certains ont déjà bien avancé, et nous proposent des outils créatifs remarquables.
Gyrophonia est un plugin (insérable) de manipulation de la matrice ambisonique B-format (1er ordre).
Il permet la rotation gyroscopique sans fin autour de chacun des trois axes X (avant-arrière), Y (gauche-droite) et Z (haut-bas).
Pour effectuer une rotation dans le plan horizontal, on agit ainsi sur le curseur yaw.
Pour piquer ou lever, on agit sur le curseur tilt
Pour tourner autour de l’axe avant / arrière on joue sur roll
Cela nous permet
les zooms et autres changements de positions
les étirements, et autres déformations des sphères se fait avec « sphère control »
les automations et contrôles par surface tactile, travail de Olivier Fouillet
d) ce que nous pouvons faire… avec Harpex
Un nouvel outil, extrêmement complet.
Une qualité de décodage dépassant ce que nous avons entendu jusqu’à présent
Un enveloppement beaucoup plus prononcé que dans SurroundZone.
Peut-être le complément indispensable.
Proposer des réponses simples à des problèmes complexe : Les empilements successifs.
Le micro principal est lui même son propre micro d’appoint.
A partir de l’unique micro principal ambisonique une seconde couche de mixage dont la directivité sera dirigée vers l’instrument.
A quel moment et avec quels outils est-il possible d’effectuer ces manipulations avec des signaux discrets. Tout au plus on rajoute un peu de sommation mono, un peu de delay et c’est tout.
e) ce que nous pouvons faire… en relief
« Je vous écris du Havre… » le premier documentaire en Son en Relief
Jean-Marc L’HOTEL mai 2011